Évangile selon saint Matthieu (5, 1-12a)
En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait.
Il disait : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.
Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »
Matthieu 5 v.1 à 12
Les Béatitudes
Nous sommes ce matin en présence d’un texte parmi les plus essentiels et les plus commentés du christianisme : je veux vous parler du « Sermon sur la Montagne » ; les Béatitudes en sont le prologue (v.1 à 12 précisément).
Situons-nous d’abord dans le temps et l’espace.
Nous pouvons lire chez Matthieu au Ch. 4 que Jésus vient de se retirer en Galilée après que Jean, le Baptiste, son cousin, ait été arrêté et jeté en prison. Peut-être pour assurer sa sécurité, nous n’en savons rien, le Christ vient habiter à Capharnaüm et commence à rassembler ses disciples tout en continuant de « proclamer la Bonne Nouvelle du Règne en guérissant toute maladie et toute infirmité parmi le peuple (v.23) ». Il rassemble des foules, en particulier, ici, sur une montagne qui n’est pas nommée mais qui est connue comme étant le mont Eremos, entre Taghba et Capharnaüm, deux localités à quelques kilomètres l’une de l’autre, au nord et au bord du lac de Tibériade. Une église des Béatitudes a été construite par les catholiques sur le site même au xxème siècle.
Et là, Matthieu, en énumérant neuf Béatitudes, nous dresse un extraordinaire portrait de Jésus à travers son « programme » en forme de berceau du christianisme mais qui est la révélation de Jésus lui-même. Difficile pour les fidèles de lui ressembler, même en cherchant à l’imiter ou lui obéir car si les Béatitudes reflètent l’esprit du Christ, les notions sont tellement novatrices que nul ne sait alors comment les mettre en application.
Le mot béatitude est la traduction du latin ecclésiastique beatitudo, le bonheur. Il n’est ici question que du bonheur, la preuve en est que chaque béatitude commence par le mot Heureux ou Bienheureux selon les versions de la Bible.
Autre curiosité : dans la version originale en grec de la Bible, celle qu’on appelle la septante, les mots heureux, bienheureux et béni se traduisent tous par makarios. Ce qui signifie littéralement ; celui qui possède une joie intérieure inaltérable.
Heureux les pauvres. H. les doux, H. ceux qui pleurent, H. ceux qui ont faim et soif etc. Or tous ces H. sont dans une situation paradoxale car le bonheur leur est annoncé au cœur même de l’épreuve, dans une situation de manque et de dégradation : Comment en effet être heureux quand on est pauvre en esprit, qu’on a faim de justice, trop doux et donc fragile, en pleurs, persécuté, insulté ?
Eh bien, du fond des détresses humaines, jusqu’au cœur des persécutions, Jésus promet, au présent, le bonheur à tout un chacun ; au v. 12 « Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ». Sous-entendu : elle vous attend déjà Ou aux v. 3 et 10 : « Le Royaume des cieux est à eux, Les six autres béatitudes sont au futur mais sont tout aussi porteuses d’optimisme. Ils seront consolés, ils seront rassasiés » aux V. 5 et 6
Mais sommes-nous bien en situation de vraiment comprendre nos frères et nos sœurs du premier siècle ? Rien de certain car les mots de la Bible ont une histoire particulière et sont souvent très éloignés de nos références du XXIème siècle. Quelques exemples :
Pauvres en esprit et pauvres de cœur, cela nous fait penser à quelque chose comme imbéciles heureux et bien des théologiens se sont très tôt engagés sur cette voie mais c’était faire fausse route car, les Esséniens (dont tout le monde ou presque s’accorde pour admettre qu’ils ont largement inspiré Jésus), les Esséniens par exemple se rendaient volontairement pauvres. Leur esprit leur faisait choisir la pauvreté, pour être plus près de Dieu et ils se débarrassaient de leurs biens. Ils développaient alors un esprit de pauvreté, ce qui est loin du vide spirituel qui caractérise l’imbécile heureux.
Et cette pauvreté recherchée était indispensable pour accéder au Royaume car, rappelez-vous, dans les Évangiles, les riches sont systématiquement condamnés si, au minimum, ils ne partagent pas ! D’ailleurs Jésus le rappellera au Ch. 6 v.19 : « Ne vous amassez pas de trésors sur la Terre ». Au v.24 : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » (avec une majuscule pour Dieu et pour Argent !).
Autre précision, à l’époque du Christ le siège de l’esprit est le cœur (Ceux qui ont le cœur pur). Nous en avons gardé, souvenez-vous, dans le Cid de Corneille, de 1636, la célèbre question de Dom Diègue à son fils : « Rodrigue as-tu du cœur ? » c’est à dire, en français actuel : As-tu du courage ?
Au XVIIème siècle le cœur est encore le siège du mental. Et c’est encore un peu vrai aujourd’hui, quand nous prenons les choses à cœur…
Mais une fois passés les obstacles du vocabulaire, comment devons-nous comprendre l’intérêt de ces injonctions de Jésus ?
Serions-nous en présence d’une nouvelle loi ?
On peut se poser la question de savoir ce que viennent faire les nouveaux disciples et la foule, invités par Jésus sur le mont Eremos. Seraient-ils venus prendre connaissance d’une nouvelle loi, comme l’avaient fait leurs ancêtres au pied du mont Sinaï ?
C’est à la fois vrai et faux. Jésus en effet va leur apporter des directives nouvelles dans le Sermon qui va suivre mais toujours en faisant référence à la Loi de Moïse. Il la rappelle, il l’enrichit mais ne la remet pas en cause car il s’adresse essentiellement à des juifs.
Il ne manifeste aucune intention de substituer une loi nouvelle à celles, très nombreuses, des Anciens (le Lévitique et le Deutéronome). Dans les Béatitudes en particulier, c’est la recherche du bonheur qui est proclamée, certes, pour l’essentiel, dans l’autre monde, à la fin des temps, mais sans aucune sanction pour ceux qui seraient insensibles aux félicités annoncées. Aucune injonction ferme, aucune obligation. L’Amour seul illumine le discours, mais sans renier le passé. Le peuple est invité à se laisser gouverner par l’Esprit.
Les Béatitudes et le Sermon ne sont pas une loi générale en ce sens que, par exemple, tout le peuple n’est pas concerné. Le discours s’adresse essentiellement à ceux qui auront la foi et les qualités humaines et spirituelles pour le comprendre et le mettre en pratique. Pas d’égalité, donc, mais la révélation de principes de vie universels et intemporels.
Universel et intemporel, ce discours s’adresse aussi à nous tous, hommes et femmes du XXIème siècle ? Je vous en propose une interprétation assez convaincante et novatrice, celle de la Coordination nationale Evangélisation-Formation de notre Eglise :
Heureux les pauvres, pas les fauchés mais ceux dont le cœur est libre.
Heureux ceux qui pleurent, pas ceux qui pleurnichent mais ceux qui crient.
Heureux les doux, pas les mous mais les patients et les tolérants.
Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, pas ceux qui braillent mais ceux qui luttent.
Heureux les miséricordieux, pas ceux qui oublient, ceux qui pardonnent.
Heureux les cœurs purs, pas ceux qui font les anges, mais ceux dont la vie est transparente.
Heureux les pacifiques, pas ceux qui éludent les conflits, mais ceux qui les affrontent.
Heureux les persécutés pour la justice au nom du Christ, non parce qu’ils souffrent mais parce qu’ils aiment.
A Dieu seul soit la gloire Amen
Alain Quillet